Deux ans après l’élogieux Drive, Nicolas Winding Refn rempile logiquement avec son fidèle acolyte Ryan Gosling et signe le très attendu Only God Forgives.
Reçu maladroitement sous les huées cannoise, ce nouveau film du réalisateur danois attise non sans mal la curiosité générale. Loin des paillettes d’Hollywood, l’ambitieux Only God Forgives s’établit finalement voire assez simplement au détour d’une percée sinueuse et “testostéronée”. Un aller sombre et succinct dans les méandres de la psyché où l’hyper-référence assumée volerait presque la vedette à cette ultra-violence tant relatée par les médias.
Back to basics
NWR prend un plaisir certain avec ce film et s’affirme avec aplomb. Le cinéaste a décidé ce coup-ci de jouer son envolée sans commande, au risque de voir s’effondrer une côte de popularité déjà bien gravie et de rendre imperméable au genre une partie de ses spectateurs, noyant leur déception sous une pluie de critiques. Un constat à la perversion isolée qui ne rendra, pour autant, pas ce film moins déboussolant pour bon nombre ni plus unanime. Un repli sain, vain, vers une vision du cinéma choyée par son auteur. Un élitisme falsifié, involontaire, injustifié, ébruitant juste la rançon brutale d’une gloire trop rapidement acquise.
Une mère porteuse
Nul besoin d’épiloguer sur la teneur réelle du script, l’histoire se joue de quelques lignes. En effet, après s’être enfuit des États-Unis pour avoir commis un certain crime, Julian (Ryan Gosling) gère aujourd’hui un club de boxe thaï à Bangkok, décor peu chaleureux et ville où son grand frère sévit également. Cette couverture, très couleur locale, leur permet ainsi de s’adonner à un business considérablement plus juteux, le trafic de drogue. Suite au décès de l’aîné de ses fistons lors d’événements nocturnes malheureux, la mère (Kristin Scott Thomas) débarque pour régler le problème à sa manière et faire exécuter le policier qui se cache derrière la mort de son fils. Ses intentions de vengeance étant à la hauteur de la vaste organisation criminelle qu’elle dirige, cette mère aux mains salies va rapidement devenir l’élément porteur, la voix, de ce script de petite envergure.
Incubateur d’émotions et luxure visuelle
Le poids des mots justement soulevé par cette figure maternelle castratrice, le squelette du film s’articule conformément autour de son bon vouloir. Mais dans Only God Forgives, il n’y a guère de partie invisible et la chair comblant les vides, celle se rattachant à chaque recoin de cette carcasse tranchante, devient alors indispensable. Et c’est bien là, tout l’intérêt de ce clos et douloureux récit. Une souffrance établie, dégoulinante et partagée sans peine. Rattachée judicieusement au dos de Julian (Ryan Gosling), personnage impuissant, fantomatique, déambulant dans un silence quasi religieux sa quête des plus élémentaires, celle d’une punition à la hauteur de sa liberté. C’est alors toute cette masse d’images lancinantes, presque figées, ces tortueux labyrinthes plus qu’explicites, ces portes poussées une à une, cette excessive et quasi risible ébullition d’émotions, d’hémoglobine, qui rendent finalement aux mots leur manque de présence. Only God Forgives ne déroge pas à la règle, NWR a su sublimer l’horreur et cela reste sûrement à ce jour, un de ses plus grands talents. Car le film jouit d’une beauté fascinante. En rouge et noir, ou en rouge et bleu, mais jamais vraiment sans rouge. Inspiré et inspirant, ce cinéaste, pourtant daltonien, sait comment servir ses films. Rendant à ses images toute leur dimension et leur singularité, un tableau où l’on perçoit avec joie l’excitation constante du maître.
Verdict : ★★★☆☆
Alors on se laisse porter ou non, on désespère ou on accroche illico mais NWR ne s’engage aucunement à nous pousser vers de longues réflexions métaphysiques. Ce film percute de plein fouet l’ultra-clairvoyance et se laisse paraître déconcertant sous l’illusion d’une profondeur pourtant vaine. Un petit jeu, de grands hommages et des couleurs criardes pour atténuer un silence. Le pilote du vaisseau, l’ouvreur, c’est Julian (Ryan Gosling) et n’en déplaise à sa mère. Sa lutte, son combat à mains nues pour assurer la vendetta familiale, n’est pourtant destinée qu’à une ultime fin, aussi égoïste soit-elle, accueillir à bras ouverts ce policier, ce justicier moralisateur et féru de karaoké, afin d’obtenir son salut. Un essai de plus dans son inclassable filmographie et NWR sait assurément comment rendre sexy la plus cauchemardesque des fresques, révélant d’une manière toujours plus forte sa touche, son univers, s’affichant sans pudeur à grand coups de néons, la modernité qui se joue du classicisme en somme.
Pour qui ? Les avertis, les amoureux du genre, ceux qui ont le ventre bien accroché et une bonne nuit de sommeil derrière eux.
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