Inspiré du roman de Yann Martell, L’Odyssée de Pi raconte l’histoire d’un jeune Indien de 17 ans, Pi Patel, rescapé du terrible naufrage du cargo qui l’emmenait avec sa famille de l’Inde vers le Canada. Durant 227 jours (π = 22/7) , il doit faire équipage avec Richard Parker, un tigre du Bengale, lui aussi survivant du naufrage.
Si le film raconte en grande partie le récit de ce voyage, la trame principale reste la recherche de Dieu par Pi, une quête spirituelle qui le verra essayer différentes religions pour trouver des réponses à ses questions.
Le résultat est visuellement époustouflant : mise en scène très fluide, appuyés par des effets spéciaux phénoménaux, en particulier le tigre et les scènes en mer.
La musique du film a été confiée à Mychael Danna, que le réalisateur Ang Lee connait bien puisqu’ils avaient déjà travaillé sur Ice Storm en 1997, Chevauchée avec le Diable en 1999 ou Hulk en 2003 (initialement, le score complet ayant finalement été confié à Danny Elfman).
De plus, il est intéressant de voir ses autres travaux dans les années 2000 comme Water, qui traite de la condition des femmes dans l’Inde coloniale, La Nativité qui raconte l’histoire de la naissance de Jésus, ou encore Tideland qui comporte quelques thèmes similaires à Life of Pi (mort des parents, aventure en solitaire…).
Enfin, il est canadien comme l’auteur du roman qui a inspiré le film, et marié à une indienne. Un choix totalement évident.
La bande originale composée a une approche très travaillée pour suivre les différents thèmes traités par le film : le voyage qui mène Pi de l’Inde vers le Canada, la recherche de spiritualité et la transition de l’enfance vers l’âge adulte. Musicalement on retrouve ce mélange multi-culturel et multi-religieux à travers l’utilisation d’instruments à conntation occidentale (orchestre, violons, pianos, celesta) et orientaux (flutes, gamelan, violon sarangi, santoor, tambura, percussions). Et jusque dans dans les petits détails : les choristes canadiens chantent en sanskrit tandis les choeurs tibétains chantent en latin.
Les premiers morceaux ouvrent dans des tonalités majeures et légères pour représenter l’enfance de Pi et son insouciance. Pi’s Lullaby chantée par Bombay Jayashri en Tamoul, évoque un chant maternel. Piscine Molitor Patel / Sous le ciel de Paris et Pondicherry font référence à la France où l’oncle de Pi a voyagé (et qui a donné son nom à Pi), et à Pondicherry qui était un ancien comptoir français. On trouve déjà ce mélange d’instruments occidentaux et orientaux pour appuyer le mélange des cultures est imprègnée Pi et sa famille.
L’exploration des religions par Pi commence avec Meeting Krishna, Christ in the Mountains et Thank you Vishnu for introducing me to Christ. Les religions sont représentées en fonction de leurs origines : l’hindouisme avec uniquement des instruments traditionnels de l’Inde (flute bansuri, gamelan, santoor, tambura), le christianisme avec des instruments plus occidentaux (violons, piano, choeurs, clarinette, flûte traversière)
La fin du morceau Thank you Vishnu for introducing me to Christ appuie la rencontre entre hindouisme et christianisme, à l’aide de choeurs et un tambura.
Richard Parker accompagne la première rencontre avec le tigre. Une musique inquiétante, courte, avec une note de violon en fond, les pas du tigre sont représentés avec des carillons réguliers, et avec flûte perse très légère et de l’écho.
Appa’s Lesson mélange à nouveau les instruments, pour souligner les points de vue sur le choix d’une religion lors du repas familial. Deux groupes de violons se répondent en stéréo, suivi du santoor et la flûte bansuri.
Anandi présente rapidement un thème très court associé à l’amour de jeunesse de Pi. Un musique toujours dans une tonalité majeure et avec une forte connotation indienne, suivie par Leaving India. Elle démarre sur des notes similaires au morceau précédent, avec des violons et une flûte bansuri. À nouveau, les instruments indiens laissent place aux violons et à un orchestre classique pour souligner la transition de Pi et sa famille vers l’occident.
The deepest spot on Earth est le grand virage de la composition. On passe en tonalité mineure et une baisse d’un ton par rapport aux premiers morceaux. La partition est jouée majoritairement par des cuivres pour connoter le destin tragique à venir du cargo et la grandeur de la fosse des Mariannes, accompagnés de violons pour apporter de la tension. Tsimtsum, référence à la religion juive et au nom du cargo qui fait naufrage, est marqué par une forte présence de violons et l’apogée des choeurs.
Death of the Zebra et First night, first day apportent le caractère animal sous forme d’une flûte perse qu’on trouvait déjà dans Richard Parker. et une mélodie qui alterne entre les notes majeures et mineures. La solitude de Pi dans First night, first day est marquée par un jeune choriste.
Set your house in order, Skinny vegetarian boy, et Orphans reprennent un peu de légèreté musicale. Le thème de Pi est repris dans Skinny Vegetarian Boy et Orphans, souligne sa reprise en main du cours des choses.
Le thème de Pi and Richard Parker, un motif avec deux couples d’accords, qui évolue jusqu’à Back to the world souligne la relation entre les deux personnages, ainsi que l’aspect sauvage du tigre (flûte perse).
Flying fish offre une pause avec une musique majeure et colorée, rythmée avec beaucoup d’instruments qui se suivent pour représenter le déferlement des poissons-volants : mandoline, bansuri, celesta, cuivres.
The whale et Tiger vision offrent la vision nocturne du monde marin de manière similaire : utilisation du gamelan, de la flûte perse, de choeurs. L’aspect massif de la baleine est joué par des cuivres dans The whale. La scène sous-marine qu’accompagne Tiger vision comporte un son étouffé avec beaucoup de réverbération en post-production.
God storm est en fond de la tempête qu’affronte Pi. Introduite par le choriste, c’est la seule fois où l’orchestre joue sans retenue.
The island marque une pause dans le voyage de Pi. On a ici une musique douce à l’aide de la harpe, du gamelan, du santoor et de percussions légères avec de l’écho, pour rappeler l’aspect paradisiaque de l’île.
Back to the world marque l’arrivée de Pi et Richard Parker sur la terre ferme. Le thème commun des 2 protagonistes est rappelé puis s’estompe rapidement, Richard Parker s’en allant. La musique remonte ensuite d’un ton et reprend une tonalité majeure pour souligner la fin du calvaire. L’arrivée au Mexique est également marquée par la fin des instruments orientaux au profit de l’orchestre et des choeurs.
The second story suit le second recit donné par Pi aux enquêteurs japonais. Un son fait un écho très léger en fil rouge du morceau. Le thème utilisé pour Pi et Richard Parker voit son second accord modifié pour souligner une version alternative de l’histoire. Le morceau réutilise en revanche la mélodie de Tsimtsum afin de rappeler qu’il y a bien eu un naufrage dont a été rescapé Pi.
Quelle histoire préférez-vous ? Which story do you prefer la suggère à l’aide du/des thèmes de Pi et de la thématique religieuse évoquée dans Meeting Krishna et Christ in the Mountains. Le morceau et le score sont magnifiquement clôturés par le choeur.
Life of Pi est une musique jouée toute en retenue, qui utilise très subtilement la combinaison d’instruments pour donner du corps aux pays (le Canada, la France, l’Inde), aux personnages et à leurs religions.
Elle aurait pu être un simple remplissage pour un film qui se passe la majorité du temps sur un bateau, au milieu de l’océan. Mychael Danna est allé bien au-delà en redonnant une dimension supplémentaire à l’histoire et en renforçant son poids visuel, sans besoin de jouer fort avec un orchestre d’une centaine d’instruments. C’est la marque des génies, les Golden Globes et les Oscars l’ont bien compris en lui attribuant la récompense de Meilleur Compositeur 2013.