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« Le Majordome », de Lee Daniels

Cinquante années après la prononciation du désormais célèbre discours “I have a dream » de Martin Luther King, la lutte continue. À la différence près, et non des moindres, qu’il s’agit aujourd’hui d’une lutte pour la mémoire, l’histoire commune, un rappel nécessaire à toutes sociétés pour ne plus jamais faire machine arrière. Lee Daniels, avec ce biopic, range sa malice et calme ses ardeurs pour aborder, entre classicisme et activisme, un sujet capital à ses yeux, celui de la lutte pour les droits civiques des noirs américains.

À votre service, Monsieur

Gros succès au box-office américain depuis sa sortie, “Le Majordome” se vante même sur la toile d’avoir ému jusqu’aux larmes le président Obama. Rien de moins. Mais c’est avant tout, un film pour lequel rien n’envisageait Lee Daniels à sa réalisation. Le réalisateur, six fois oscarisé pour “Precious”, provocateur narquois avec “Paperboy”, ne nous avait pas habitué à une telle sagesse conventionnelle. Et pourtant il va se révéler, alliant sobriété et justesse à la verve qu’on lui connaît, peinant parfois à maîtriser son temps de parole mais bien trop peu pour l’en acculer.

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Le film retrace l’histoire de Cecil Gaines (directement inspiré de la vie d’Eugène Allen), majordome afro-américain à la maison Blanche, témoin extraordinaire en son temps, au service de sept présidences. Cecil a fuit le Sud des États-Unis et son ségrégationnisme dans les années 30, mais c’est en servant autrui qu’il débutera sa vie d’homme et qu’il envisagera plus tard d’élever son statut social. Une position qu’il n’assimile en rien à de la soumission puisqu’il a été éduqué de la sorte. Apolitique et simplement heureux du confort que lui apporte son poste, Cecil va devoir valser entre obligations liées à l’exercice de son métier et vie de famille.

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Ce biopic possède dans sa modestie quelque chose de grand, quelque chose qui fait du bien et qu’on aime à retrouver dans ce genre d’histoire. Tout est une question de services. Le rôle même du majordome est au service de ce film, servant consciemment, mais sans jamais jouer la victime, de fil conducteur à un voyage au cours des cinquante (et plus) dernières années. Lee Daniels a récemment comparé son personnage de Cecil à un “Forrest (Whitaker) Gump afro-américain”, le genre à parcourir avec humilité et candeur une partie de l’histoire contemporaine américaine.

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Un casting royal

Des têtes d’affiche façon grosse production, et pourtant “Le Majordome” n’a rien de snobinard mis à part peut-être son académisme certain. Tourné à la Nouvelle-Orléans durant l’été 2012 et en 41 jours seulement, le film dévoile cependant une fresque dantesque, un petit exploit de rentabilité en somme. Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Reagan, autant de présidents charismatiques qu’il a fallu incarner sans grimer. Et pour ce faire Lee Daniels a brillé d’instinct en faisant appel respectivement à Robin Williams, James Marsden, Liev Schreiber, John Cusack et Alan Rickman, avec en prime Jane Fonda dans le rôle de Nancy Reagan.

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« Le Majordome » est avant tout une saga familiale camouflée sous les traits d’un biopic historique. La forte dualité entre un père et l’un de ses fils ou l’histoire d’un couple face aux épreuves du temps, Lee Daniels se sert agilement du contexte pour mieux nous mener à l’intime. Le personnage de Cecil, interprété magistralement par l’acteur Forest Whitaker (Oscar du meilleur acteur en 2007 pour ”Le Dernier Roi d’Ecosse”), franchit pas à pas différentes étapes et vieillit sous nos yeux. Sa famille au centre de toutes ses priorités doit elle aussi faire face à des périodes difficiles. Gloria, épouse et mère dévouée, se dévoile alors sous les traits d’une Oprah Winfrey médusante. Quant aux fistons de la famille, Louis et Charlie, la rébellion face à la figure paternelle est de rigueur : l’un choisira la criée en devenant un militant radical, l’autre partira pour la guerre du Vietnam.

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A la fois fédérateur et universel, le récit de ce film libère autant qu’il bouscule. Le combat pour les droits de tous et contre le racisme ne s’est pas fait en un jour. Lee Daniels nous dresse avec ce film le portrait d’une Amérique autant détestable que porteuse de grands espoirs et d’un père à l’obéissance contrariante, mais pourtant ô combien précieuse. Car ces majordomes souvent issus de la communauté noire, au contact de “blancs” au quotidien, ont joué un rôle clef dans l’acceptation, l’approche et l’atteinte d’une certaine forme de confiance. Lee Daniels se joue de l’opposition entre la force tranquille du père et l’attrait du fils vers des combats plus frontaux, penchant plutôt du côté de Martin Luther King, Malcom X, des Black Panthers ou des Freedom Riders.

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« Le Majordome », pour sûr, futur maître d’hôtel aux Oscars, se révèle un biopic captivant, une fresque utile assumant pleinement ses faiblesses. Un film qui se passe ainsi d’une certaine notion de perfection ou de justesse, préférant rendre à ce récit son humilité. Une performance pour Lee Daniels qui se débarrasse enfin de vieilles habitudes pour appuyer son propos. “Le Majordome” se veut accessible et nous propose ce parallèle de taille entre l’histoire d’un homme et celle de la lutte pour les droits civiques des noirs-américains, une ingénieuse et belle façon de revenir sur une page d’histoire.